Pourquoi les compagnies maritimes investissent-elles la logistique ?

Faute de candidats à la consolidation et de stabilité dans les bénéfices du transport maritime, les compagnies utilisent leurs profits pour se développer dans la logistique aux résultats bien plus rassurants pour des actionnaires en quête de rendements fiables, justifie Alphaliner. Vraiment ?

Chronique d'une invasion dans le secteur de la logistique ? Pas vraiment. « Presque toutes les fusions et acquisitions de ces deux dernières années se sont concentrées sur la logistique », assure pourtant Alphaliner qui croit tenir plusieurs explications : l’absence de candidats dans le cadre d’une intégration horizontale, la versatilité de la conjoncture du transport maritime et la volonté implicite de mieux rémunérer des actionnaires. Les investissements dans la logistique offriraient des revenus plus fiables et moins cycliques que ceux du transport maritime, a fortiori dans le conteneur.  

Peu de récentes acquisitions

Le rachat d'OOCL par Cosco en 2018 a en effet marqué le dernier grand mouvement de consolidation du secteur, tandis que l'acquisition en mars de la compagnie néerlandaise, dernier grand indépendant opérant encore en Afrique, NileDutch, par Hapag-Lloyd a été la seule opération significative de l’année.

Réelle volatilité

« Au cours de la décennie 2010-2020, la marge Ebitda (résultat d'exploitation avant intérêts, impôts et amortissement) de Maersk, par exemple, a été en moyenne de 11,8 %, mais elle a beaucoup fluctué au cours de cette période. Par exemple, entre le deuxième trimestre 2010 et 2011, elle est passée de 25 à 4 % et de 7 à près de 16 % entre le deuxième trimestre 2016 et 2017. Cela équivaut à une différence de plus de 1,2 Md$ », a analysé le spécialiste de la ligne régulière.

Stratégie propre à CMA CGM et Maersk 

Pourtant, la stratégie de logistique intégrée reste l’exclusivité de quelques acteurs. Maersk, qui a intégré son ancienne filiale logistique Damco, et CMA CGM, qui a fondu CMA Log au sein de Ceva Logistics, quand il a acquis le numéro cinq mondial de la logistique contractuelle et le 10e freight forwarder (400 000 t de fret aérien et 2,8 Mt de fret terrestre), sont à ce jour les deux seules compagnies à faire de l’intégration logistique une de leurs priorités stratégiques. Avec toutefois des approches différentes.  

Le leader mondial dans le transport maritime de conteneurs, qui dispose aujourd’hui d’une aisance financière (35,3 Md$ en fonds propres fin juin), l’a présentée publiquement dès 2016 au point de pratiquer l’orthodoxie financière notamment dans les commandes de navires pour sanctuariser son cash à cet effet.

Ces derniers mois, fort de ses abondantes liquidités, il a multiplié les emplettes de taille moyenne dans l’entreposage et la distribution. Il y a quelques semaines, le danois réalisait son troisième investissement depuis le début de l’année en abondant à hauteur de 1,5 M€, via Maersk Growth, au capital de la start up portugaise Huub, qui propose une gamme complète de solutions logistiques pour les e-commerçants du secteur de l’habillement (suivi de production, gestion des stocks, exécution des commandes, emballage, etc). 

Des acquisitions de taille moyenne pour Maersk

Début août, le transporteur avait annoncé le rachat de deux entreprises de la logistique BtoC, l’américaine Visible Supply Chain Management pour 838 M€ et la néerlandaise B2C Europe Holding B.V pour 86 M€. La première dispose de neuf entrepôts aux États-Unis, reçoit 200 000 commandes par jour pour 200 millions de colis livrés par an. Le chiffre d'affaires prévisionnel de l’entreprise pour 2021 est estimé à 550 M$. L'offre principale de B2C Europe concerne, elle, les services de livraison de colis pour les détaillants et les marques ainsi que pour les opérateurs logistiques. Elle devrait réaliser cette année un chiffre d’affaires de 140 M$.  

Au second trimestre, la division Logistique et Services de AP Moller-Maersk a vu son chiffre d'affaires augmenter de 38 % (après + 42 % au premier trimestre) pour atteindre 2,168 Md$. Les précédentes transactions, de Performance Team, un spécialiste américain de l'entreposage et de la distribution (545 M$) et de KGH Customs Services, n’y sont pas étrangères.  

Stratégie door-to-door pour CMA CGM

CMA CGM ratisse plus largement dans une logique de porte-à-porte, investissant les maillons de la chaîne d’approvisionnement : outre l’acquisition de Ceva Logistics, sauvée par son entremise d’une OPA hostile orchestrée par DSV, le groupe de transport et de logistique, tel qu’il se fait désormais appeler, s’est introduit, et avec des moyens, dans le fret aérien (CMA CGM Air Cargo) au moyen d’une flotte détenue en propre – quatre A330-200F et deux commandes de B777F neufs –, mais aussi ferroviaire comme en Espagne, où le groupe français est entré par la grande porte avec l’acquisition de Continental Rail, l'un des principaux opérateurs espagnols privés du corridor atlantique dans le transport de marchandises. 

C’est donc tout naturellement vers CMA CGM et Maersk que les cous se sont tordus quand le Monde et du Nouvel Obs ont révélé que la banque Morgan Stanley avait été mandatée pour identifier des candidats intéressés à reprendre tout ou partie des activité Bolloré en Afrique (Bolloré Africa Logistics, BAL). La banque d’affaires ne s’y est pas trompée puisqu’elle a approché ces deux groupes en particulier.

Hapag-Lloyd et MSC, d’autres priorités

Si toutes les compagnies maritimes dans la ligne régulière ont profité des nouvelles opportunités offertes par les technologies numériques pour développer leur offre de services numériques (telle que la réservation en ligne  sans intermédiaire) et ainsi retrouver le contrôle de l’information-client, elles ne manifestent pas toutes la volonté à se transformer en une entreprise de logistique, à l’exception de la compagnie sud-coréenne HMM pour laquelle cela se réduit pour l’heure à une déclaration d’intention de son PDG Jae Hoon Bae. 

MSC a plutôt tendance à investir son cash dans des acquisitions de navires. Le numéro deux du transport mondial aura déboursé 2 Md$ pour des navires d'occasion en un an. Hapag-Lloyd envisage davantage des prises de participation dans métier qu’il n’avait pas encore vraiment investi : la manutention portuaire. Le directeur général du transporteur allemand, Rolf Habben Jansen, commentant sa prise de participation dans un terminal à Wilhemshaven, avait indiqué qu’il voulait investir dans... 12 ou 15 « endroits dans le monde » de façon à contrôler son transbordement. 

Alibaba et Amazon

Les géants de l’e-commerce chinois Alibaba et américain Amazon ont été bien plus entreprenants et décomplexés pour déborder de leur pré carré. L’entreprise de Jeff Bezos a même dépassé nombre de ses anciens partenaires ou prestataires. En 2020, elle a expédié plus de colis (4,2 milliards) que le géant américain du fret express, FedEx. Selon les données de Pitney Bowes, Amazon contrôlerait 21 % du marché maritime américain, juste derrière UPS (24 %) et devant FedEx (16 %).  

Jusqu'en 2014, la société de Seattle s'appuyait encore sur ces deux grands acteurs pour ses livraisons. Depuis, Jeff Bezos a tissé sa toile et investi dans les entrepôts, le transport routier, le fret aérien… Des capacités logistiques qu'il vend aujourd’hui en tant que transitaire agrée. 

Adeline Descamps

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