Vous souhaitez connaitre la solution à l'énigme du camion-mystère présentée le 15 mai, Un tracteur à nul autre pareil ? Voici l'histoire de ce tracteur. Tout d’abord, comme beaucoup l’ont noté sur la page Facebook de France Routes, il s’agit bien d’un tracteur Büssing. Marque allemande dont MAN, après l’avoir rachetée en 1971, adoptera l’emblème, un lion stylisé.
Une motorisation intrigante...
Mais notre tracteur mystère recèle d’autres surprises. La plus étonnante tient à sa motorisation : un diesel horizontal monté sous la cabine, dans le porte-à-faux avant, devant l’essieu directeur ! Disposition pour le moins inhabituelle, dont on a du mal à comprendre la justification.
Crédit photo : Büssing AG
Disons-le tout net, techniquement, il n’y a pas vraiment d’avantage à disposer un tel moteur de la sorte, sinon, peut-être, en vue d’obtenir un plancher plat ou quasiment plat en cabine.
Moteur horizontal à tout prix
En fait, la décision de Büssing de doter ses tracteurs d’un moteur horizontal avait des motivations économiques. L’entreprise fabriquait essentiellement des diesels de ce type, destinés à ses camions porteurs, dont c’était la marque de fabrique, et à ses châssis d’autobus dont elle était l’un des principaux fournisseurs sur le marché allemand avec aussi de nombreux débouchés à l’exportation.
Crédit photo : Büssing AG
Bilan, il était peu économique et peu rationnel, selon les dirigeants de l’époque, de continuer à développer et à produire des moteurs d’architecture verticale, uniquement pour les tracteurs et pour quelques modèles à cabine à capot, dont on percevait déjà que la demande allait décliner dans les années à venir. Les tracteurs à cabine avancée, quant à eux, semblaient promis à un bel avenir. Mais il était difficile, voire impossible, sauf à allonger anormalement l’empattement, de les doter, comme sur les porteurs, d’un moteur horizontal sous le châssis, entre les essieux.
Pallier le manque de place
Si l’on voulait donc, à terme, ne produire que des moteurs de type horizontal, il était impératif de trouver un moyen d’en équiper aussi les tracteurs. Mais comment loger un 6 cylindres en ligne de 11,58 l dans un empattement ne devant pas excéder, au mieux, 3 600 mm ? Mission impossible.
D’où l’idée de déplacer le moteur vers l’avant. C’est ainsi qu’a été présenté, en 1965, le tracteur S 16.210, dont le diesel horizontal se trouvait sous le plancher de la cabine, dans le porte-à-faux avant, avec une boîte de vitesses décalée entre les essieux.
Suspension pneumatique intégrale
Était-ce pour mettre une touche de modernité, censée atténuer le désarroi des acheteurs devant une telle implantation mécanique ? Ou y avait-il une justification technique, découlant d’une répartition des charges un peu perturbée ? Toujours est-il que les ingénieurs de Büssing avait fait un autre pari sur ce modèle : celui d’une suspension pneumatique intégrale. Une belle idée, mais un peu trop avant-gardiste...
Crédit photo : Büssing AG
À l’exception des autocars et autobus, les suspensions pneumatiques n’entreront en effet que très progressivement sur le marché, équipant d’abord l’essieu moteur. Il faudra attendre une trentaine d’années avant qu’elles ne parviennent à l’essieu avant, notamment celui des tracteurs.
Quel bilan ?
Cette configuration unique de moteur horizontal avant (unique en poids lourds seulement car elle a été efficacement utilisée sur des autobus urbains, comme le Saviem SC10) a aussi été testée par Büssing sur des porteurs et tracteurs 6x6 de chantier. Mais seul le tracteur 4x2 sera effectivement commercialisé. Sans grand succès toutefois.
Produit en faible quantité, avec divers composant spécifiques, il coûtait cher. Mais surtout, il ne permettait pas de retrouver les avantages du moteur horizontal sur porteur : accès facile à la mécanique (avec la simplicité d’une cabine fixe), bon équilibrage dynamique, à vide comme en charge, habitacle parfaitement isolé des nuisances du moteur, notamment sonores, et plancher plat.
Crédit photo : Büssing AG
Sur ce tracteur, le moteur était d’autant plus bruyant que l’échappement était placé devant, sous le pare-chocs. Quant au plancher, bien que dégagé, il n’était pas parfaitement plat et l’accès à la mécanique, malgré des emmarchements pivotants, n’était pas vraiment aisé – la cabine étant fixe. Enfin, la position très avancée du radiateur imposait la présence d’un petit capotage, avec une calandre en saillie, portant à 1,82 m le porte-à-faux avant. En revanche, la cabine était plutôt basse avec une hauteur hors tout de 2,7 m.
Trois années seulement d’existence
Ce tracteur atypique ne sera commercialisé que durant trois ans, Büssing renonçant à poursuivre l’expérience dès 1968. La France fut l’un des rares marchés d’exportation où il trouva quelques débouchés. Modestes cependant, puisque 11 tracteurs seulement furent immatriculés chez nous, dans une version à 19 t de PTAC, contre 16 t en Allemagne.
Crédit photo : Spitzer Silo-Fahrzeugwerke
L'étrange MAN UXT
Curieusement, la formule du tracteur à moteur horizontal a brièvement réapparu chez MAN, dont le prototype UXT avait fait sensation au salon IAA de 1989. Dérivé du F90, il associait un moteur dans l’empattement à une transmission assez complexe, avec une boîte de répartition permettant d’entraîner aussi l’essieu avant.
Crédit photo : MAN Nutzfahrzeuge AG
Crédit photo : MAN Nutzfahrzeuge AG
Les avantages attendus ? Motricité et sécurité par tous les temps, à vide comme en charge, centre de gravité abaissé, répartition des charges homogènes, cabine spacieuse et bien isolée, plancher plat, etc. Un prototype qui restera sans suite, en raison d’un coût excessif, d’un poids mort élevé et d’une consommation peu flatteuse.